adriennelautere

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Amour et destinée

Amour et destinée

 

Suis-je amoureuse ou seulement biologique,

en t'offrant mon regard et mon front et mes bras?

Je n'ai pas désiré l'amour, plus tyrannique

que tout ce qui nous tient, nous hante et nous combat.

 

Lui qui commence par tant de claire allégresse,

ne devrait pas changer en cette obsession.

Il y a dans l'ardeur de certaines caresses

comme un émollient et funeste poison.

 

L'échange consenti de nos deux fantaisies

me semblait une chose heureuse; j'espérais

refouler la limite étroite de ma vie,

et te donner beaucoup, mais ne t'aimer jamais!

 

Ainsi qu'un vieux savant, perdu dans les études,

choisit pour le servir une jeune beauté,

je souhaitais par toi fleurir ma solitude,

et que ton rire pur m'apportât la gaieté.

 

Il faut de temps en temps aérer l'égoïsme,

où moisissent un tas de sournoises rancoeurs.

Ta tendresse devait me rendre l'optimisme,

tonique pour l'esprit et baume pour le coeur.

 

Je ne te demandais que d'être une présence,

un regard attentif, un vigilant accueil,

aptes à varier l'uniforme cadence

de mon âme cloîtrée en son rêve d'orgueil.

 

Mais comme un clair jardin que la nuit accapare,

où rien ne semble plus ni germer ni mûrir,

une ombre peu à peu m'envahit et s'empare

de ma lucidité, l'ombre d'un souvenir.

 

Mon rêve qui s'attache à ta forme lointaine

a perdu sa puissance et sa fécondité.

jadis tu le suivais, à présent tu l'entraînes

par un étrange arrêt de la fatalité.

 

L'amour peut-il tarir toute source de vie?

Suis-je atteinte d'un mal inconnu, ténébreux,

pour que se taise en moi la profonde harmonie

qui règle de mon coeur les battements fougueux;

 

pour que je reste inerte à la fois et fébrile,

les yeux fixés sur toi qui n'es qu'illusion;

et pour qu'aucun appel n'éveille, même hostile,

la combattive ardeur de mon ambition?

 

Je ne t'accuse pas, tendre ami sans malice,

de m'avoir infligé le sombre cauchemar.

Nous sommes tous les deux victimes, non complices

d'un dieu plus fort que nous qui s'appelle: Hasard.

 

C'est lui qui t'a choisi pour frapper la blessure

dans l'acier triomphant de ma vitalité.

Ta douceur lui parut une arme habile et sûre,

capable de me vaincre ou de me résister.

 

C'est lui que dans tes yeux je cherche et questionne,

lui seul, le prévoyant, mystérieux Destin,

et quand mes lèvres à tes lèvres s'abandonnent,

sous tes jeunes baisers, je me dis: "Et demain?"

 

Pour totale que soit aujourd'hui ma défaite,

j'en devine le sens et la nécessité.

Aimons-nous! l'heure approche où mon front de poète

rayonnera soudain d'une autre volupté.

 

Quand du profond silence où je rêve inactive,

s'échappera le rythme aigu, libérateur,

qui rompra les liens de mon âme captive

et l'entraînera loin dans un cri de bonheur.

 

Comme dans un village un air vibrant des cuivres

fait sortir la jeunesse entière des maisons,

hors de moi bondira pour danser et pour vivre,

tout un monde joyeux de vers et de chansons.

 

Et mon être suivra l'allègre farandole,

éclatante de verve et de variété,

tandis que, délaissé sur ton socle d'idole,

tu maudiras l'amour et sa duplicité.

 

Lui seul a cependant fait jaillir de nos vie

la source généreuse où nous aurons, chacun,

acceptant du Destin le secours opportun,

puisé, toi, la sagesse, et moi, la poésie.

 

Amour et Sagesse, 1921



19/10/2012
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