Avant que je ne sois la vieille de Ronsard
Avant que je sois la vieille de Ronsard
Pendant longtemps j'avais méconnu ton génie.
Tu l'ignores toi-même, ainsi que ces enfants
prodigues, sous les doigts desquels la mélodie
fuse et jaillit spontanément.
Lentement m'apparut ce que tu crées en moi,
tout ce que ton amour m'apporte et fait comprendre.
Quand je t'écoute assidûment, je crois entendre
l'écho multiplié d'un chant au fond des bois.
Tant d'accords variés et de tonalités,
de modulations, de rythmes et de gammes
dorment secrètement dans le clavier de l'âme:
Il y a la douceur, il y a la bonté
qui guérit la raison de son intransigeance.
Il y a la tendresse aux languissants accords;
- N'as-tu pas remarqué combien le don du corps
ouvre l'intelligence? -
Il y a la gaîté dont les timbres cuivrés
éclatent en fanfare à travers l'organisme.
Ce crescendo sonore de mon optimisme,
tu dois l'entendre, ô mon aimé?
Quand près de moi tu demeures silencieux,
l'espérance amoureuse illuminant tes yeux,
n'écoutes-tu jamais la suave musique
que la présence arrache au clavier symphonique?
y doivent-ils rester comme un brûlant secret,
ma bouche par des mots refusant de les dire,
tous ces accents nouveaux que mon être ignorait?
...A moins qu'un jour, par un sourire,
par le son de ma voix, ou bien par mon regard,
avant que je sois la vieille de Ronsard,
ils te soient révélés, à toi qui les inspires?
Amour et Sagesse, 1921