Tu m'as dit...
Tu m'as dit...
Tu m'as dit que les souvenirs
dressent leurs stèles funéraires
sur les routes, où galopèrent
jadis, tes plus fougueux désirs;
que telle forme, tel visage,
l'éclair d'un mot rieur, ardent,
brillent ineffaçablement
dans le ciel de tel paysage
où tu fus heureux en aimant.
J'ai répondu: - Quand je dirige
vers le passé mon clair regard,
je ne vois contre un ciel blafard
que des fantômes sans prestige.
Espoirs et désirs satisfaits
ne laissent peines ni regrets.
De promesses réalisées
les traces semblent effacées.
Ainsi quand je revois un site
je n'y trouve point incrusté,
pour me distraire ou tourmenter,
le souvenir, ce parasite!
J'y viens avec une âme libre,
et comme un violon qui vibre
sous l'appui caressant du vent,
je sens frémir toutes mes fibres
dans les fortes mains du Présent.
O mon enfant jaloux et fier,
vers qui je tourne mon visage,
de nous deux quel est le plus sage?
Le douloureux captif d'hier
et des émotions passées,
ou celle qui d'un vieux décor
oublia l'âme trépassée,
pour y pousuivre sans remords
d'autres plaisirs, d'autres pensées?
L'oubli n'est pas une avanie.
C'est le ressort de la santé.
C'est, sous les cendres de la vie,
la force de ressusciter.
Là où j'ai pleuré de détresse,
je puis savourer la tendresse,
et reconstruire sans fléchir
sous le fardeau des souvenirs,
une maison nouvelle et bonne.
Masse informe de l'avenir
que le cerveau pétrit, façonne
à sa guise, l'illusion
qui vous anime et vous couronne,
stimule mon ambition!
Mais les heures qui m'abandonnent
perdent lentement leurs parfums...
Pâles princesses embaumées
qui vécurent pour être aimées,
allongeant leurs charmes défunts
dans la poussière inanimée.
Amour et Sagesse, 1921