Séparation
Séparation
Nous nous sommes doucement séparés, ce jour.
Il faisait gris dehors. Chez toi aussi. L'amour
vacillait faiblement en nos âmes pensives
comme au fond d'une cave, une flamme furtive.
Nous nous parlions derrière un masque de velours,
en gens bien élevés et discrets que nous sommes.
Car nous avons beau être une femme et un homme,
le sauvage abandon nous a manqué toujours.
Et pourtant j'ai senti l'harmonieux lyrisme
naître de l'union de nos deux égoïsmes,
que mes vers ont fleuri, parfumés de douceur,
dans le jardin simple et secret de ma tendresse;
pourtant mon être a su trouver en tes caresses
cette stabilité qui s'appelle: bonheur.
Qu'allons-nous faire maintenant, trop solitaires?
Nos rancoeurs se mettront-elles dûment en guerre,
ou bien, plus sages, songerons-nous qu'il vaut mieux
chercher dans une attente incertaine mais douce
les espoirs, les désirs, qui meurent et repoussent
suivant les mornes jours et les jours radieux?
Le soleil revenu, nous sentirons dans l'âme
une douce langueur; nos corps se souviendront...
J'en suis sûre! Je suis l'optimisme fait femme.
Nous nous sommes aimés, nous nous retrouverons.
Là-bas, où je vivrai, loin du bruit, loin des villes,
dans la forêt, peut-être, ou sur les bords d'une île
aux sables argentés, un soir calme, rêveur,
j'entendrai dans la mer et dans le vent qui passe
frémir, comme un rappel à travers les espaces,
le cri de ton désir, le sanglot de ton coeur.
Nous nous retrouverons, mon aimé, vers l'automne,
avec des sens nouveaux, bravant le monotone
et raisonnable cours des heures. La santé
acquise par raison, nous rendra faméliques
de tendresse et d'oubli dangereux, extatique.
Nous ne serons plus ceux que nous avons été,
amants plaintifs et querelleurs, amants peu sages.
Chacun apportera de nouveaux paysages
au fond de son regard, chacun apportera
des berceuses plus touchantes que l'ancienne
et plus belles. Ton âme enchaînée à la mienne
approuvera ton corps prisonnier de mes bras.
La séparation, salutaire, s'impose,
l'amour n'étant qu'une musique avec des pauses,
une mesure qui varie infiniment.
"Allegro", dit l'instinct, "andante", la sagesse,
artistes tous les deux, différents par l'adresse...
Mais personne ne sait diriger en aimant.
Amour et Sagesse, 1921